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Que feront les universités ?
On voyait bien que le gouvernement rongeait son frein pour rouvrir écoles, cégeps et universités, et imposer l’enseignement en présentiel obligatoire, malgré la pandémie, la 5e vague et le variant Omicron. Élèves et étudiants dans les salles de classe coûte que coûte. Les enseignants ? Des employés convoqués à se pointer et qui n’ont aucune voix au chapitre. On aura remarqué combien ils - notamment les universitaires - sont inaudibles et invisibles depuis le début de la pandémie pendant que d’autres décident de leur sort.
Une politique casse-cou
La semaine dernière, le gouvernement a entamé un virage périlleux qu’il s’emploie à faire accepter par la population : le passage de la politique du freinage de la propagation du virus par la limitation des contacts à celle de la contamination communautaire assumée. Il sait qu’il y aura plus d’infections mais il pense que ce sera supportable (confinements individuels, absences, remplaçants, fermetures). À chaque individu de se débrouiller. Son message : vous tomberez malades mais vous devriez échapper aux soins intensifs et à la mort. On entend les soupirs de soulagement …
La décision est entérinée de prendre des risques avec la santé de la population et avec le système de santé. Un changement de paradigme s’est opéré, qui consiste à passer de la lutte contre la Covid à la cohabitation avec elle. Le virus ferait partie de notre quotidien. Sans reconnaissance formelle, la philosophie du « vivre avec le virus » est maintenant officielle. Exprimée crûment, c’est la théorie de l’« immunité du troupeau » (herd immunity). Or, l’immunité collective, c’est de la vaccination qu’elle doit venir, pas de la contraction du virus. Prend-on soin de la population ou fait-on bon marché de sa santé ?
Véritable offensive, la campagne de persuasion est lancée. Voici le déroulé de la semaine passée. Le 10 janvier, le directeur de la Santé publique était remercié de ses services. Le 11, le premier ministre réitérait qu’il visait un retour sur les bancs d’école le 17 janvier. Le lendemain, le nouveau directeur de la Santé publique donnait son aval à ce vœu, comme souhaité. La caution médicale était au rendez-vous. Déjà observée auparavant, la priorité de la décision politique n’est même plus dissimulée. Tweetait le premier ministre le même jour : « Bonne nouvelle! La direction de la santé publique est favorable à l’ouverture des écoles primaires et secondaires dès lundi prochain, comme prévu. Les cégeps et les universités vont aussi pouvoir retourner en personne. »
Conduire aveugle
Tandis que le ministre de la Santé sonnait l’alarme sur l’état du système de santé, le premier ministre faisait miroiter la lumière au bout du tunnel le 13 janvier, à peine quarante-huit heures plus tard. Manifestement les impératifs de la campagne appelaient un changement de discours, une autre « communication ». Comme argument justificateur, le premier ministre invoquait l’arrivée prochaine du « pic » des hospitalisations. En fait, il n’y a pas consensus entre les experts et les acteurs sur le terrain au sujet de la réalité de cette décroissance tant attendue (pour exemple, voir la rubrique 1).
Ensuite, ce que n’a pas dit le premier ministre c’est que, depuis le 5 janvier, date de la restriction des dépistages par PCR, les données sur les contaminations sont sous-estimées, donc non fiables. On ne sait pas s’il y a baisse, stabilisation ou augmentation des contaminations. Les contaminés non comptabilisés ne figurent pas dans les statistiques et nombre d’entre eux aboutiront à l’hôpital bientôt. Par conséquent, on navigue dans le brouillard (https://www.lapresse.ca/actualites/chroniques/2022-01-05/covid-19/un-epais-brouillard.php) et la décision de rouvrir à tout va est basée sur un espoir, pas sur des faits. À s’y tromper, le tout ressemble à un pari, à un coup de dés, même à un saut dans le vide, sous l’influence d’une idée préconçue. Quand bien même une baisse serait réelle, et non un simple désir, le bon sens recommanderait d’attendre un peu pour qu’elle se consolide avant de relâcher, afin de ne pas relancer le virus.
À cela s’ajoute l’administration tardive de la dose de rappel (3e dose), indispensable contre les formes graves de la maladie provoquée par le virus. Il faut deux semaines avant qu’elle n’ait d’effet et trois pour atteindre le plein régime. Le retour précipité en classe se ferait sans protection adéquate pour beaucoup de récemment vaccinés et d’autres en attente de vaccination. On sait aussi que le groupe d’âge des 18-39 ans (https://www.journaldemontreal.com/2022/01/13/le-quebec-en-retard-dans-la-course-pour-la-3edose), soit la grande majorité des étudiants universitaires et la grande majorité des membres des communautés universitaires, est peu vacciné. Avec, en plus, l’indisponibilité persistante des tests rapides, on mesure l’état d’impréparation générale dans lequel nous sommes pour la dangereuse option du retour forcé dont le gouvernement est le partisan et le porte-parole.
Les universités à l’heure de vérité
La dernière phrase du gazouillis du premier ministre laisse entrevoir que les prochaines cibles de la campagne sont les universités. On devine aisément les tractations en cours pour les amener à se plier aux volontés gouvernementales. Les universités sont autonomes. Elles ne font pas partie de la fonction publique. Elles ne sont pas aux ordres du gouvernement. Leur gestion leur appartient. Le moins qu’on puisse dire est qu’elles ne se sont pas particulièrement illustrées par la défense de leur autonomie en 2021. En sera-t-il de même ce mois-ci ou assistera-t-on à un sursaut ?
Continueront-elles à suivre le gouvernement sur le mode d’enseignement ou prendront-elles des décisions dictées par la sécurité des communautés universitaires ? Est-il prudent de multiplier les contacts en exigeant la présence dans les salles de classe pendant la 5e vague, alors que l’Agence de santé publique du Canada (plus indépendante du pouvoir politique ne l’est la Santé publique au Québec) n’anticipe pas de baisse avant quelques semaines ? N’est-il pas sensé de décider en fonction de la réalité de la situation, reflétée dans des données fiables, plutôt que sur des spéculations gouvernementales ? Les directions universitaires continueront-elles à s’isoler dans un tête-à-tête avec le gouvernement ou impliqueront-elles les communautés universitaires dans des orientations, décisions et actions qui les touchent directement ?
L’enseignement à distance n'enchante personne mais il a au moins la vertu de ne pas transmettre de virus. Les choix que font les autorités universitaires durant la tourmente pandémique sont des plus graves car ils concernent la santé de milliers de membres des communautés universitaires. De ces choix elles ont l’entière responsabilité.
1. Un « pic » invérifiable
https://www.journaldequebec.com/2022/01/06/pres-de-230-hospitalisations-dans-la-region-de-quebec
2. Retour en classe - Une « catastrophe annoncée », selon des experts; « grosse erreur »
https://www.journaldequebec.com/2022/01/17/jour-de-rentree-controverse
3. En France - Laisser circuler le virus ou pas ?
4. Aux États-Unis - L’enseignement en présentiel
5. Appel à information
Merci aux collègues qui nous alimentent d’information. Continuez. Que d’autres les rejoignent.