No 97, 4 janvier 2022

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COVID-19 : les universités doivent-elles être à la traîne du gouvernement ?

Depuis le 31 mai 2021, les administrations universitaires n’ont eu de cesse de répéter qu’elles suivent le gouvernement du Québec en matière d’enseignement en présentiel obligatoire durant la pandémie. Pourtant, les universités sont autonomes et ont été promptes à invoquer l’autonomie universitaire pour désapprouver la commission gouvernementale et une éventuelle loi sur la liberté universitaire. S’agissant du mode d’enseignement, l’autonomie universitaire prend le bord et le tout-présentiel a été imposé, selon les vœux du gouvernement.

Le bilan du gouvernement

À regarder de près le bilan du gouvernement ces dernières semaines, il y aurait lieu de prendre ses distances et d’assumer ses responsabilités. Le raz-de-marée du variant Omicron n’était pas inattendu. Les dégâts en Europe étaient sous nos yeux depuis un bon mois, comme pour la première vague début 2020. L’Europe tend à nous précéder de quelques semaines. N’a-t-on rien appris ?

Les médias abondent de critiques sur les ratés du gouvernement : messages contradictoires ou confus sur les masques et la ventilation (dont la surveillance est pourtant prônée depuis des mois), atermoiements pour l’administration de la dose de rappel (la dite 3e dose), indisponibilité ou dates éloignées des rendez-vous (en réalité, sans rendez-vous); tests rapides restés en entrepôt; complications pour l’accès aux centres de dépistage; désir de faire plaisir par les consignes au début décembre (rassemblements des Fêtes à 20 personnes), etc. Puis le nombre quotidien de cas déclarés et confirmés a bondi de 1569 le 12 décembre à 15 293 le 2 janvier. Le nombre réel est plus élevé, allant jusqu’à 40 000, car tous les cas asymptomatiques ne sont pas testés et tous ceux qui font des tests rapides chez eux ne passent pas de tests par PCR. Tout cela provoque revirements et réactions précipitées, voire mesures désespérées (exhortations à se faire vacciner au plus vite, rappel urgent des travailleurs de la santé ayant la COVID, couvre-feu, prières du premier ministre à la population). Le public constate les virages, la gestion en yoyo et le mode panique. Il sent la perte imminente de contrôle et ressent la frustration d’avoir été bercé d’illusions.

Le résultat est que le Québec recense la moitié des contaminations au Canada et le double de l’Ontario. Son taux d’administration de la dose de rappel est peu reluisant et peu affiché : 16% (2 janvier), soit la moitié de celui de l’Ontario. La vaccination complète (deux doses plus un rappel) protège contre les formes graves mais n’arrête pas la transmission, et cette transmission est la plus forte chez les 20-29 ans, soit le plus gros contingent d’étudiants universitaires. Avec deux doses, la protection contre l’infection ne serait que de 30-40% après six mois. Le rappel relève la protection contre l’infection à 70%, peut-être un peu plus, et protège contre les formes graves à 85% environ (les personnes fragiles et les immunodéprimés ne sont pas protégés). Mais quand on calcule le temps que prendra l’administration du rappel à la majorité des Québécois, en y ajoutant les deux semaines nécessaires pour que le vaccin atteigne son effet maximal, on se rend compte que l’hiver se déroulera avec une protection encore inadéquate, donc dans des conditions périlleuses.

Les conséquences à en tirer pour les universités

Peut-on s’en remettre avec confiance à de tels guides pour décider du mode d’enseignement à l’université ? Sont-ils aptes à dire que l’enseignement doit être intégralement en présentiel ? Ils ont, pour le moins, d’autres chats à fouetter ! C’est l’un des dangers de la gestion politique d’une crise sanitaire. Les politiques répugnent à dire à leurs électeurs les pénibles vérités. Plus payants sont les relâchements triomphalement annoncés et les messages agréables sur la fin de l’épreuve ou le retour des beaux jours. Mais la réalité ne tarde pas à prendre le dessus, et d’autant plus brutalement que la population n’y a pas été préparée. Moins le traitement d’un mal est conséquent, plus il se prolonge et peut s’aggraver. De toute façon, c’est la responsabilité des directions universitaires de protéger les communautés universitaires et de leur assurer un milieu de travail sécuritaire.

On sait que le variant Omicron est beaucoup plus contagieux que le variant Delta et que la double vaccination ne l’arrête pas. Même s’il s’avérait, comme certains l’affirment, qu’Omicron est moins virulent, sa contagiosité extrême rend la situation explosive. Selon certaines études, son RO serait de 10 (une personne infectée en infecte 10) et il serait 70 fois plus transmissible que le Delta par les aérosols. Outre le fait que l’administration du rappel ne fait que débuter, son efficience contre Omicron dans les différentes catégories de la population reste à préciser. Cela veut dire que de sérieux risques sanitaires entoureraient une tenue du trimestre d’hiver en présentiel forcé pour tous.

Les experts nous disent que diminuer les contacts est indispensable pour empêcher la transmission. Réunir des masses humaines dans des lieux fermés et faire se côtoyer professeurs et étudiants dans des salles de classe pendant des heures les exposent aux transmissions et aux contaminations par gouttelettes (les enseignants aussi doivent donc être masqués) et aérosols (d’où l’importance de la ventilation et de sa surveillance). De plus, on souligne maintenant que le masque de procédure (le masque bleu) est insuffisant et qu’il devrait être remplacé par le masque N95. Espérons que les autorités ne caressent pas la vieille idée de développer l’immunité collective par la contamination communautaire, sorte de darwinisme sanitaire et de « sélection naturelle ».

Le trimestre d'hiver

Heureusement la 4e vague Delta n’a déferlé qu’à la fin du trimestre d’automne, les cours étant presque terminés. On l’a échappé belle. Mais il ne fait aucun doute que la transmission a eu lieu dans les semaines qui ont précédé; les hôpitaux actuellement débordés reçoivent essentiellement des malades du Delta. Maintenant, chevauchant la 4e vague, s’ajoute la 5e, celle d’Omicron. La vaccination est moins efficace contre elle et ses effets commencent à peine à se faire sentir. Ils s’abattront sur le Québec en janvier et en février, durant le trimestre universitaire d’hiver. Alors qu’est rodée la formule de rechange (le distanciel), plus sécuritaire, le présentiel forcé obligerait les membres des communautés universitaires à sauter dans le bouillon viral. En jeu n’est rien de moins que leur santé.

Adultes, les étudiants du supérieur ont la maturité nécessaire pour s’instruire en mode virtuel, au moins temporairement, durant la mauvaise passe que nous traversons. Nombre d’entre eux plaidaient déjà pour un retour qui soit progressif, plutôt que radical. Étant du groupe le plus touché par la transmission d’Omicron, ils seront en première ligne si le mode présentiel est imposé dans les conditions pandémiques actuelles. Pis-aller certes, n’engageant nullement pour l’avenir, l’enseignement à distance peut convenir pour plusieurs disciplines, le temps de surmonter la tempête. Sauf à s’accrocher au présentiel obligatoire avec, à la clé, la propagation inévitable du virus et les risques de désorganisation du trimestre.

L’heure est grave. Les directions universitaires resteront-elles à la remorque du gouvernement ou reprendront-elles en main la gestion des institutions dont elles sont les responsables ? Là est la question qui plane sur le début de l’an 2022, que l’on ose vouloir bon, malgré tout. 


1.  Le distanciel dans les universités québécoises

UQAM jusqu’au 16 janvier

Laval (plan de repli) jusqu’au 30 janvier

Concordia jusqu’au 19 janvier

McGill jusqu’au 23 janvier


2. Des universités ontariennes reportent le présentiel

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1847941/covid-19-omicron-universites-ontario-janvier


3. Commission Cloutier sur la liberté universitaire

Le rapport

Les annexes

Réaction de la direction de l’UdeM

Restent deux inconnues : le gouvernement saura-t-il s’interdire la facilité des ingérences à des fins politiciennes ? les universités sauront-elles appliquer leurs textes et résister véritablement aux pressions internes ou externes qui s’exercent sur elles ?


4. Appel à information

Merci aux collègues qui nous alimentent d’information. Continuez. Que d’autres les rejoignent.